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Histoires montréalaises de couvre-feu

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Il a beaucoup été question de couvre-feu ces derniers jours, contexte oblige… Plusieurs ont aussi évoqué les mesures appliquées par le Canada ou le Québec en temps de guerre ou de pandémie.

Mais savez-vous que notre administration municipale a également eu recours à ce type de mesure par le passé?  Avez-vous déjà entendu parler du couvre-feu montréalais de 1942? Malgré l’époque, celui-ci n’avait rien à voir avec la guerre mais visait plutôt les jeunes et le maintien des « bonnes mœurs ».

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Nous vous présentons aujourd’hui sa petite histoire, en mots et en images, en faisant un détour par d’autres mesures montréalaises du même type ayant existé depuis la fondation de notre ville en 1642.

Le couvre-feu en Nouvelle-France

Dès l’époque de la Nouvelle-France, on peut observer l’application d’un couvre-feu sur l’île de Montréal. À 21 heures, la cloche de l’Église signale la fermeture des commerces et des tavernes. Tous les habitants de Ville-Marie doivent rentrer chez eux, barrer leurs portes et éteindre les feux. Si le couvre-feu permet traditionnellement de limiter les risques d’incendie, il vise également à assurer dans ce cas la sécurité des Montréalais face aux raids autochtones récurrents.

1645-1650. Montréal, vue à vol d'oiseau. VM066-1-P005. Archives de la Ville de Montréal.

1645-1650. Montréal, vue à vol d’oiseau. VM066-1-P005. Archives de la Ville de Montréal.

Déjà à cette époque, la mesure n’est pas toujours respectée. L’auberge dirigée par Mme de Folleville est par exemple l’objet de nombreuses plaintes, alors que bon nombre de gentilshommes s’y rassemblent après l’heure du couvre-feu, afin de prolonger diverses festivités.

Cette première réglementation disparaît peu à peu, alors que les fortifications de Ville-Marie sont construites, assurant une meilleure protection à ses habitants.

Le guet au 19e siècle

1830. View of the harbour, Montreal / R. A. Sproule Delt. ; W. L. Leney sc. BM007-2-D14-P058. Archives de la Ville de Montréal.

1830. View of the harbour, Montreal / R. A. Sproule Delt. ; W. L. Leney sc. BM007-2-D14-P058. Archives de la Ville de Montréal.

Au 19e siècle, ce n’est pas un couvre-feu mais un « guet » qui est instauré à Montréal. Le 1er avril 1818, l’administration locale met sur pied une force constabulaire incluant un chef, un chef adjoint, et 24 hommes de guet, afin d’assurer la tranquillité nocturne et la clarté des rues. On vient d’ailleurs tout juste de mettre en place un premier éclairage municipal, avec 100 lampadaires à l’huile, répartis au centre de la ville. Auparavant, seule la rue Saint-Paul bénéficiait de ce type d’éclairage.

Le quartier général des hommes de guet est situé au coin des rues Saint-Pierre et Notre-Dame. Ces policiers de l’époque sont armés d’un bâton de 5 pieds, d’une crécelle pour appeler des renforts au besoin et d’une lanterne à la ceinture. Les patrouilleurs crient les heures et les demi-heures nocturnes par ces mots: « All’s well! »

Un comité est par la suite formé afin d’assurer le guet, plusieurs citoyens y prenant part tour à tour. Les heures semblent varier selon les sources mais le guet se tient globalement entre 20h et 5h, avec des pauses à 22h30, 12 h30 et 2h30. Le comité citoyen se divise en petits groupes et assure une surveillance par districts.

L’incorporation de la Ville de Montréal (1833 et 1840) et la création officielle d’une police municipale (1843) rend éventuellement obsolète la pratique du guet citoyen dans les rues de la métropole.

Policiers montréalais au 19e siècle. VM94-D198-001. Archives de la Ville de Montréal.

Policiers montréalais au 19e siècle. VM94-D198-001. Archives de la Ville de Montréal.

Au 20e siècle, la saga du couvre-feu destiné à la jeunesse

La nuit sur la rue Sainte-Catherine. 1914. VM98-Y-1_P002-02.

La nuit sur la rue Sainte-Catherine. 1914. VM98-Y-1_P002-02.

Au 20e siècle, l’idée d’un couvre-feu refait surface à Montréal. Cette fois, la pratique vise toutefois les plus jeunes et cherche à encourager les « bonnes mœurs ».

Plusieurs organismes sociaux se montrent en effet inquiets face aux « occasions dangereuses » qui guettent la jeunesse montréalaise : les sorties le soir, les courses et les jeux dans les parcs ou dans les ruelles sont vues comme « une des plaies de l’enfance ». (Le couvre-feu. 1942. Père Archambault, directeur du Comité des Œuvres catholiques).

Un groupe d'enfants au square Saint-Patrick. 1924. VM117-Y-1P2221 (détail). Archives de la Ville de Montréal.

Un groupe d’enfants au square Saint-Patrick. 1924. VM117-Y-1P2221 (détail). Archives de la Ville de Montréal.

La Ville de Montréal ébauche un projet de couvre-feu pour les jeunes dès 1917, mais elle constate rapidement que sa charte ne lui permet pas de légiférer dans ce domaine. Dans un échange plutôt caustique, le juge F. X Choquette, de la Cour des sessions de la paix, écrit ainsi à l’avocat en chef de la Ville : « quant à l’utilité d’un tel règlement, je n’ai pas de doute qu’il aurait pour effet d’empêcher les enfants de courir les rues le soir après 9 heures, et d’enfreindre les règlements municipaux et la loi ». L’administration municipale abandonne le projet.

Lettre d'un citoyen en faveur d'un couvre-feu. 1917. VM001-3-2_003631. AVM. Article dénonçant la délinquance juvénile et les cinémas. 1917. VM001-3-2_003631. AVM Ébauche de couvre-feu par la Ville de Montréal. 1917. VM001-3-2_003631. AVM
Lettre du club ouvrier de Verdun-Sainte-Anne en faveur du couvre-feu. 1930. VM001-3-2_003631. Archives de la Ville de Montréal.

Lettre du club ouvrier de Verdun-Sainte-Anne en faveur du couvre-feu. 1930. VM001-3-2_003631. Archives de la Ville de Montréal.

Mais dès le début des années 1930, plusieurs associations réclament à nouveau un couvre-feu pour les plus jeunes. Le club ouvrier Verdun – Sainte-Anne est le premier à faire parvenir au conseil municipal une pétition en ce sens. Suivront de nombreux organismes, parmi lesquels des comités citoyens de divers quartiers, les Œuvres catholiques du diocèse de Montréal, le Comité des œuvres catholiques, la Cour des jeunes délinquants, l’Association catholique des voyageurs de commerce, la Société Saint-Jean-Baptiste, le Bien-être de la jeunesse, les Chevaliers de Colomb, la Fédération des ligues du Sacré-Cœur, l’Union catholique des cultivateurs, les Chevaliers de Carillon, l’Alliance catholique des professeurs de Montréal, les Syndicats catholiques, la Société Saint-Vincent de Paul ou la Ligue catholique féminine.

En 1937, une délégation de bon nombre de ces organismes rencontre le comité exécutif de la Ville et souligne notamment à quel point  « trop de liberté le soir entraîne chez les enfants une dégénérescence morale, l’irrespect envers l’autorité, en même temps que cela nuit à la tranquillité des paisibles ménages et des institutions qui ont besoin de calme ». (Entrevue avec le CE le 4 mars 1937)

Pour le juge J.-Aldéric Robillard, président de la Cour des jeunes délinquants à Montréal, « Une grande partie des crimes commis par des adolescents le sont parce que ces petits restent trop tard dans la rue le soir et rencontrent de mauvais amis, plus âgés, qui les entraînent dans la voie du mal (…). Ces mauvais amis leur apprennent à voler et bien souvent les enfoncent vers le vice grâce aux ténèbres ». (Le Devoir, 12 mars 1942)

Groupe d'enfants dans le futur parc De Gaspé (Villeray). 1946. VM105-ALPHA11-001. Archives de la Ville de Montréal.

Groupe d’enfants dans le futur parc De Gaspé (Villeray). 1946. VM105-ALPHA11-001. Archives de la Ville de Montréal.

D’autres municipalités ont déjà instauré un couvre-feu destiné aux enfants, incluant Cornwall, Lachine ou Bromptonville.

La Ville de Montréal va donc entamer des démarches afin d’obtenir de l’Assemblée législative provinciale l’autorisation de décréter un couvre-feu dans la métropole. En 1935, Adhémar Raynault tente une première fois de convaincre le conseil municipal d’aller en ce sens. C’est un échec, les conseillers municipaux s’opposent majoritairement au projet. D’autres tentatives suivent, sans succès.

Mme Théodule Bruneau. 1942. VM94-Z1054. AVM

Mme Théodule Bruneau. 1942. VM94-Z1054. AVM

Au début des années 1940, la conseillère municipale Mme Théodule Bruneau revient à la charge, appuyée par son collègue Me Armand Mathieu et plusieurs autres élus. Avec la guerre, « plusieurs pères de famille sont à l’armée. La mère est seule à la maison, elle n’a pas l’autorité voulue pour se faire obéir. Les enfants sortent et courent malgré elle le soir. (…) Bienvenue serait la loi qui viendrait l’aider » (Le Devoir, 7 mars 1942)

Une résolution est présentée au conseil municipal le 17 mars 1942 afin de faire amender la charte de la Ville lors de la prochaine session de l’Assemblée législative du Québec. On cherche à obtenir les pouvoirs nécessaires pour décréter « que les enfants âgés de moins de 16 ans, non accompagnés d’une personne responsable, devront réintégrer leur résidence à une certaine heure le soir » (PV 1942).

Résolution présentée au conseil municipal, en faveur du couvre-feu pour les enfants de moins de 16 ans. 17 mars 1942. VM001-10_289. Archives de la Ville de Montréal.

Résolution présentée au conseil municipal, en faveur du couvre-feu pour les enfants de moins de 16 ans. 17 mars 1942. VM001-10_289. Archives de la Ville de Montréal.

L’administration municipale obtient gain de cause le 20 mai 1942 : l’Assemblée législative du Québec accepte d’insérer dans la charte de la Ville de Montréal une clause autorisant le conseil municipal à voter un couvre-feu et à en spécifier les modalités. La mesure est toutefois ramenée aux enfants de moins de 14 ans.

Le comité exécutif prépare donc un nouveau projet de règlement : le couvre-feu prévoit désormais « l’interdiction à tout enfant de moins de 14 ans, s’il n’est pas inscrit à des cours du soir, de circuler dans les rues, ruelles et places publiques de la Ville, de 21h à 5h le matin, à moins d’être accompagné d’une personne responsable ou d’être muni d’une autorisation expresse de ses parents ».

La proposition engendre de vifs débats au conseil.

Le conseiller Victor Lévesque. Le couvre-feu, c'est notre bonhomme Sept-heures! 1942. VM94-Z1191. AVM.

Le conseiller Victor Lévesque. Le couvre-feu, c’est notre Bonhomme Sept heures! 1942. VM94-Z1191. AVM.

Le conseiller McKenna dénonce le projet qui risque d’entraver les « exercices d’entraînement militaire pour les enfants et les activités scoutes ».

Le conseiller Duclos soutient que « la gestion des enfants doit demeurer l’affaire des parents et non celle de la police ».

Le conseiller Gauthier se déclare de son côté favorable au projet : « Chez nous, au boulevard Pie IX, les enfants ont passé l’été à mettre le feu dans les champs et il y a eu ainsi des feux de hangars (…). Au coin des rues Notre-Dame et Préfontaine, les enfants ont brisé toutes les vitres de l’ancienne balance publique et ont même volé des éviers ».

Le conseiller Victor Lévesque abonde dans le même sens : « Quand nous étions jeunes, on nous faisait rentrer en nous menaçant du Bonhomme Sept Heures, le couvre-feu aura un effet analogue ».

Le règlement du couvre-feu est finalement adopté par le conseil le 2 septembre 1942 et ce presqu’à l’unanimité. La Ville applique dans un premier temps la mesure « le plus humainement possible ». À la première amende, c’est le parent et non l’enfant qui est emmené au poste de police. Seuls les cas de récidive ou de mauvaise volonté sont sanctionnés. L’amende demeure à l’époque à la discrétion de la Cour des jeunes délinquants, mais elle ne doit pas dépasser 2 dollars (l’équivalent de 31 dollars de nos jours, une fois l’inflation appliquée). La mesure vise surtout « à éduquer les parents et les enfants plutôt qu’à les punir ».

Couvre-feu : le règlement 1715, adopté le 2 septembre 1942. VM1-33-2-1715. Archives de la Ville de Montréal.

Couvre-feu : le règlement 1715, adopté le 2 septembre 1942. VM1-33-2-1715. Archives de la Ville de Montréal.

Les statistiques des années suivantes montrent que le couvre-feu est appliqué à Montréal. En 1944, les contraventions sont au nombre de 2 140 (640 pour le centre de la Cité, 298 dans l’ouest, 587 dans l’est et 615 dans le nord). Le couvre feu est le plus souvent violé entre 22 et 23 heures, par des garçons âgés de 9 à 13 ans. Sont emmenés au poste 1959 parents. 156 parents et 150 enfants comparaissent en Cour juvénile.

Statistiques sur l'application du couvre-feu. 1944. VM166-D00273-3. Archives de la Ville de Montréal.

Statistiques sur l’application du couvre-feu. 1944. VM166-D00273-3. Archives de la Ville de Montréal.

 

En archives :

Lettre de l'archevêque de Montréal, Paul Bruchési, en faveur d'un éventuel couvre-feu. 1917. VM001-3-2_003631. AVM. Avis de la commission de législation au sujet d'un éventuel couvre-feu. 1917. VM001-3-2_003631. AVM. Avis juridique de l'avocat au chef de la Ville au sujet d'un éventuel couvre-feu. 1917. VM001-3-2_003631. AVM Ébauche de couvre-feu. Années 1930. VM001-3-2_003631. AVM. Lettre du Club ouvrier Saint-Jacques, en faveur du couvre-feu. 1931. VM001-3-2_003631. AVM. Lettre de la Liberté ouvrière de l'île de Montréal, en faveur du couvre-feu. 1937. VM001-3-2_003631. AVM. Lettre d'un père de famille s'opposant au couvre-feu. 1937.  VM001-3-2_003631. AVM. Pétition des propriétaires de l'Est en faveur du couvre-feu. 1937. VM001-3-2_003631. AVM. Coupure de presse sur la délinquance juvénile. Mars 1942. VM166-D00273-3. AVM.

Sources :

Couvre-feu : rentrée des enfants à domicile. Dossiers décisionnels (3e série). 1917-1945. VM001-3-2_003631. Archives de la Ville de Montréal.

Justice – loi : couvre-feu. Dossiers thématiques. 1930-1945. VM166-D00273-3. Archives de la Ville de Montréal. https://archivesdemontreal.ica-atom.org/d273-3-justice-lois-couvre-feu-18-19

Lefebvre, F. (1952). L’histoire du guet à Montréal. Revue d’histoire de l’Amérique française, 6 (2), 263–273. https://doi.org/10.7202/301521ar

Règlement no 1715. 1942. VM001-33-2-1715. Archives de la Ville de Montréal. https://archivesdemontreal.ica-atom.org/no-1715-reglement-concernant-le-couvre-feu-1942

 


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